agnon était une ville minière, située à 275 milles au Nord de Baie-Comeau. On ne pouvait y accéder par la route. On devait s'y rendre en avion ou en train. C'était une ville mono-industrielle. Ce qui signifie qu'il y a une seule industrie. Quand l'industrie ne fonctionne plus ou fonctionne au ralenti, la population s'en ressent immédiatement. C'est ce problème que les habitants de la ville de Gagnon ont dû affronter.

'ou vient la fermeture de Gagnon ? Aujourd'hui, cette ville n'existe plus. Les maisons, l'église, les écoles, l'hôpital, l'hôtel, les commerces, tout a été enseveli par des tracteurs. Il ne devait rien rester de ce qui avait été…. Gagnon a été rasé et rayé de la carte.

la fin des années 50 et au début des années 60, ce fût la construction de la ville, de la mine ainsi que la centrale hydroélectrique. Entre les années 1950 et 1975, des travailleurs de partout au Québec se sont exilés dans cette ville nordique afin d'y gagner leur vie. Ils y ont très bien vécu. Comme dans un cocon ! La vie était tranquille. Tout le monde travaillait. Imaginez-vous vivre dans une petite ville où tout le monde travaille ! Mais oui…les villes minières, c'est comme ca ! Nous ne manquions de rien. En 1975, le minerai de fer commença à se faire très rare. En 1977, la mine était officiellement fermée. Il fallait aller se revitailler en roches à Fire Lake qui se situait à 60 milles au Nord de Gagnon. Pour cela, il fallait construire des routes et la facture était trop désastreuse. Ce fut le début de la crise et la fermeture de la ville s'en est suivie.

out était perdu pour les habitants de cette ville. C'était une ville ou habitaient exclusivement des travailleurs. Les trois dernières années avant la fermeture de la ville ont été une période d'incertitude très difficile à vivre pour les personnes qui avaient construit Gagnon et avaient assisté à la naissance de cette ville; Cette fermeture fut le plus gros échec de leur vie.

oute l'énergie, l'espoir et l'argent mis dans cette ville, à se bâtir des rêves, des projets, un avenir, une vie…. aura fini par aboutir à rien. Il leur fallait tout recommencer à zéro. Avaient-ils la force et la motivation…. Normalement, ce n'est pas à 60 ans que nous commençons notre vie.

es gens devaient laisser leurs enfants et leurs petits enfants pour partir demeurer ailleurs. Donc, la plupart de ceux-ci retournaient dans leur place natale ou n'importe ou, à s'ennuyer de leurs enfants et de leurs petits enfants qu'ils voyaient tous les jours auparavant. L'effet de l'ennui peut être mortel à cet âge.

our la majorité des gens, ce fut presque comme la tombée de l'humanité. Ce fut un choix très difficile à faire. Parfois déchirant. Ils devaient choisir entre la prime de séparation, le transfert pour le Mont-Wright (mine située à Fermont) et/ou la retraite prématurée. Pour ceux qui décidaient de profiter de leur prime de séparation, il n'y avait aucune garantie de se trouver un nouvel emploi, parce que la plupart des journaliers n'avait pas d'instruction. Donc, ces personnes vivaient dans l'incertitude du travail sans lendemain. Leurs jeunes étudiaient à l'extérieur, ce qui coûtait très cher, ils n'avaient pas les moyens de ne plus travailler. Certains firent des dépressions nerveuses, quelques-uns mirent fin à leurs jours. Plutôt mourir que de partir…Ils ne voyaient pas leur vie ailleurs qu'à Gagnon.

'autres repartirent à zéro en retournant dans leur ville natale ou en déménageant dans une autre ville ou ils ont pu trouver du travail. Certains se partirent une petite entreprise, d'autres se retrouvèrent sans emploi, demandant du chômage et quand ce dernier fut écoulé, toujours sans emploi, ils demandèrent de l'aide sociale. Pour des travailleurs habitués à des gros salaires, ce fut une défaite bien difficile à accepter.

our ceux qui choisirent la retraite anticipée, ce fut très dur aussi. La majorité des gens n'était pas préparés pour une retraite soudaine. Du jour au lendemain, à 50 ans, ayant travaillé toute leur vie, ils se retrouvèrent avec le goût de tout lâcher, de tout abandonner n'ayant plus la motivation de continuer; À vrai dire de tout recommencer….

e sont les adolescents qui en ont le plus souffert. Ils étaient nés à Gagnon. Ils avaient grandi à Gagnon. Ils devaient abandonner leurs racines, leurs amis, leur école etc…ce fut très difficile pour eux de se réadapter ailleurs. Ils vivaient les problèmes d'insécurité de leurs parents.

our les autres, les trois années d'incertitude avant la fermeture de la ville ont été comme un cauchemar et le réveil à été très brutal. Ils travaillaient sans aucune motivation. Ils devaient penser à déménager leur famille et continuer de vivre. Dans le doute continuel, plusieurs ont fait des dépressions nerveuses, d'autres ont essayé de remonter la pente et certains n'ont pas réussi. Pourtant, ce n'est pas qu'ils n'aient pas essayé.

agnon a été une ville minière exceptionnelle et inoubliable jusqu'à sa mort. Elle était une grande famille pour tous ses habitants. C'est là que je suis née, c'est là que j'ai grandi, c'est là que sont restées mes racines. J'y ai laissé l'hôpital ou je suis née, ma première école, mon professeur de maternelle, mes voisins, mes amis d'enfance, mes premiers souvenirs…. Jamais je ne pourrai montrer à mes enfants la ville ou je suis née, le parc ou j'ai joué lorsque j'avais trois ans, la maison dans laquelle j'ai fait mes premiers pas.

vec la fermeture de la ville de Gagnon, une partie de ma vie a été détruite aussi. Est-ce que toutes les villes nordiques sont appelées à mourir de cette façon ?

Marilou.T





" Plus je vieillis, plus je crois que ce qui ne s'évanouit pas, ce sont les rêves."

 © 1999 par [Christiane Castilloux].